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Un roman peut-il servir de source aux historiens ? - La République ...

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Un roman peut-il servir de source à l’historien dès lors que son auteur a été témoin sinon acteur des évènements ? La liste est longue, inépuisable même, de ces œuvres de fiction inspirées par l’Histoire en marche, que les historiens n’hésitent pas à citer dans leur bibliographie, de Homère à Vassili Grossman en passant par le Malaparte de Kaputt et de La Peau et tant d’autres. Ils y trouvent des faits ou des choses vues, des noms ou des dates, l’air du temps ou la rumeur du monde, et avant tout une émeute de détails : ils avaient le plus souvent échappé aux mémorialistes ; or, pour les chercheurs, ils sont la cerise sur le gâteau. Ainsi de D’un château l’autre (1957) de Louis-Ferdinand Céline.

Fuyant la France de la Libération et de l’inévitable épuration qui lui promettait d’être pendu haut et court, l’écrivain emboîta le pas au gouvernement de Vichy, Pétain et Laval en tête, exilés contre leur gré par Hitler au château des Hohenzollern, dans le sud de l’Allemagne. Redevenu le Dr Destouches, il séjourna en ville de novembre 1944 à mars 1945 avant de fuir à nouveau vers le Danemark ; il s’était fait exclusivement médecin des pauvres durant toute cette période, se dévouant pour près de deux mille Français (pour la plupart collabos et miliciens en déroute avec leurs familles), n’écrivant pas et ne prenant aucune part à la vie politique. Le roman qu’il en tira par la suite est cité comme source, et nombre d’extraits reproduits comme on le ferait de documents, sans esprit critique, dans la plupart des livres évoquant le moment français de Sigmaringen. Christine Sautermeister, spécialiste des rapports entre Céline et l’Allemagne, vient de lui consacrer une étude très complète Louis-Ferdinand Céline à Sigmaringen (23 euros, éditions Ecriture) ; elle n’y tient pas seulement la chronique des évènements courants durant ces quelque cinq mois : elle s’y efforce de comparer ce que fut la fiction romanesque et la réalité historique ; car si il est un écrivain avec qui il convient de faire la part tant de l’invention et de la licence poétique que du pur délire paranoïaque, c’est bien lui.

S’appuyant sur les archives locales, elle observe qu’il manipule la chronologie à son gré : si les événements qu’il relate se sont vraiment produits dans la colonie française, ils ne sont pas rapportés à leur date mais dans un chaos et un arbitraire dictés par les nécessités de la dramatisation, de la satire et de son intérêt personnel. Il ignore la distinction des Hohenzollern en deux branches : la protestante, prussienne et régnante, et l’autre, souabe, catholique et retiré depuis la fin du XIXème siècle ; ses descriptions de la misère quotidienne des exilés sont hyperboliques ; les Allemands sont montrés comme viscéralement hostiles aux Français, ce qui ne correspond pas du tout aux faits mais permet de victimiser ces derniers, et de flatter la germanophobie du lecteur français de la fin des années 50 ; il se présente lui-même comme un homme lucide et sceptique, à rebours des fantasmes de reconquête de ses compagnons de fuite ; il laisse à croire que Pierre Laval voulait bien le nommer gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon ; il se met en scène en marginal politique à l’écart des partis et à distance des puissants, allant jusqu’à taire sa fréquentation assidue au château de Marcel Déat, comme en témoigne le propre Journal de guerre inédit du ministre du Travail ; il force le trait, exagère, en rajoute mais serait-il romancier et serait-il Céline s’il en était autrement ? Pour autant, ce n’est pas qu’un plaidoyer pro domo. Son roman revêt une dimension documentaire à condition d’être décodé et réinterprété, alors qu’il est le plus souvent pris au mot et cité à l’état brut. En ce cas, il est utile à l’historien, répond Christine Sautermeister. S’interrogeant sur la porosité des frontières en l’Histoire et le roman, Pierre Nora écrit :

« Au roman la fiction, les res fictae ; à l’histoire les res factae, la résurrection, la restitutio ou même la représentation du passé par les traces documentaires qui nous en attestent authentiquement la réalité. Le factuel contre le fictionnel ».

Dans son roman allemand, Céline n’a peut-être pas faussé l’Histoire dans un but politique, mais en la transposant avec tous les moyens de son art, il l’a modifiée et brouillée quand il ne l’a pas tue. Faut-il pour autant faire de D’un château l’autre une référence historique ? Pour saisir la folie de l’époque et l’absurdité de la situation, certainement ; dans ce registre-là, il est même irremplaçable. Mais pour le reste… Un cas d’école valable pour tant d’autres époques, d’autres historiens et d’autres romans.

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