Par Ramin Mazaheri – Le 2 décembre 2016 – Source The Saker
Le monde peut maintenant dire : « Ciao, François Hollande, on t’aura à peine connu. »
Hollande, après tout, était un politicien de niveau purement national lorsqu’il a remporté l’élection. Sa plus grande réalisation a été d’avoir dirigé le Parti socialiste pendant onze ans, jusqu’à ce que son ex-compagne Ségolène Royal perde l’élection présidentielle contre Nicolas Sarkozy en 2008.
Les points communs entre Hollande et l’ancienne première dame américaine Hillary Clinton vont bien plus loin que le fait d’avoir un Président pour partenaire – presque, dans le cas de Royal. Tant Hollande que Clinton étaient des créations du Parti, de même qu’Hillary était le choix du Parti il y a huit ans, en 2008, mais elle a perdu face à un sénateur du Midwest méconnu et beau parleur [Obama].
Mais on peut au moins dire que le monde avait vu Hillary en action, alors qu’Hollande n’avait jamais occupé de poste ministériel majeur ni un quelconque poste international. En plus de diriger le Parti socialiste, il était surtout connu pour être le maire de Tulle, population 15 396 habitants.
Mais en 2012, Hollande a été le choix du Parti, pour en fin de compte entrer dans l’histoire comme un pantin.
À l’échelle nationale, il a été sacrifié sur l’autel du Parti dominant. Cela n’a certainement pas commencé avec sa récente abdication, mais dure depuis qu’il a accepté l’austérité.
Au niveau international, Hollande était un pantin pour trois groupes : les richissimes et insatiables 1%, la force centripète basée à Bruxelles et la troïka européenne. Ces pouvoirs interconnectés contrôlaient Hollande aussi efficacement que n’importe quelle marionnette, même si le Président français a plus de pouvoir exécutif que tout autre dirigeant occidental.
Il est le Président le plus impopulaire de l’histoire, et il a reconnu sa défaite avant même de se présenter à la réélection – il n’aurait jamais pu être ne serait-ce qu’un prétendant. C’est vraiment un exploit rare dans les démocraties occidentales : au moins, le non-élu Gerald Ford [vice-Président de Nixon, Président après sa démission] peut dire qu’il a essayé de gagner en 1976, mais a été battu.
Hollande aurait dû prévoir que ce serait le prix à payer… si son plan directeur était de faire immédiatement un virement à 180 degrés et d’instaurer l’austérité jusqu’à son extrémité amère.
Il ne devait pas nécessairement en être ainsi : après quelques années d’austérité, lorsque les taux d’emprunt de la France ont atteint des niveaux historiquement bas, il aurait pu dire que la « fée de la confiance » de la haute finance avait été apaisée. Les dieux de la haute finance ont prêté à la France à moins de 1% depuis 2012 – ils prêtent actuellement à un taux d’intérêt de référence de 0,75%.
Mais Hollande a recouru à la règle arbitraire de Bruxelles, refusant des déficits budgétaires de plus de 3%, pour faire passer un budget d’austérité chaque année, en plus du budget annuel final de Sarkozy. Hollande n’a rejeté les diktats de Bruxelles qu’en toute dernière extrémité, évoquant la nécessité d’augmenter les dépenses de sécurité – militaires – dans le sillage de l’hystérie anti-terroriste.
Cela a-t-il marché ? Eh bien, cela a bien marché pour les riches : les dividendes ont atteint un record européen au deuxième trimestre de 2014. Mais ce n’était pas assez pour les amener à prendre acte de l’échec de l’austérité en la soulageant.
Hormis les actionnaires, cela a-t-il fonctionné pour quiconque ? Bien sûr que non, et c’est bien cela le néolibéralisme, après tout. Le chômage a continué de grimper à des niveaux record (plus de 10%), les inégalités se sont creusées, la pauvreté a atteint de nouveaux sommets, la croissance économique est restée à des niveaux de récession, et la liste continue. Le néolibéralisme, comme le savent tous ceux qui sont attentifs, ne tient pas compte des faits ni des résultats pour servir la ferveur de ses adhérents.
Et le peuple méprisait Hollande. Une cote d’approbation de seulement 4% est pratiquement inégalée pour quelqu’un qui n’a pas été forcé de quitter la présidence ou déposé par un coup d’État.
Mais Hollande l’a fait de toute façon, et s’éclipse maintenant dans l’infamie. À moins d’avoir une famille vraiment grande à Tulle, il ne pourra probablement pas même être réélu là-bas.
En abandonnant, il ne va utiliser aucun des leviers à la disposition d’un exécutif aussi puissant que la présidence française, bien qu’il ait abusé de façon flagrante de son pouvoir exécutif. Il n’a même pas essayé de contourner les prochaines primaires socialistes démocratiques pour se présenter séparément, en dépit de son exercice non démocratique – du fait de l’état d’urgence, qui est maintenant dans son 13e mois – certainement de bon augure. L’état d’urgence se poursuivra jusqu’après les élections de mai, et il appartiendra apparemment au nouveau Président de décider de poursuivre ce qu’on nomme justement une « dictature d’État policier ».
Donc, en plus d’être un « mâle dominant » du Parti, qui était François Hollande ?
Lors de la campagne électorale de 2012, Sarkozy [en fait Fabius, NdT] l’a raillé en le surnommant « M. Petites Blagues », à cause de l’humour sarcastique prétendu de Hollande. Ses sarcasmes allaient très loin, apparemment, son ex-maîtresse ayant causé une tempête en 2014 quand elle a révélé qu’il qualifiait les démunis de « sans-dents ».
Sarkozy, qui vient d’être évincé lors du premier coup majeur porté aux figures principales du système politique français, semblait avoir raison : la résistance de Flanby Hollande à l’austérité était une [grosse] blague, mais certainement pas légère pour la France, ni pour l’Europe.
Mais l’ambiance de mai 2012 n’aurait pas pu être plus différente : Sarkozy – avec son programme économique de droite et sa personnalité grossière – était le seul vrai problème de la France, et il n’était plus là.
La question principale de la campagne était de mettre fin à l’austérité, et Hollande a déclaré que la haute finance « était son ennemie ». Il a fait campagne sur une mesure populiste – restaurer la souveraineté économique du citoyen moyen – et il a gagné. Ses « petites blagues » révélaient une grande intelligence, disaient les optimistes ; pourquoi ne pas donner une chance à un fameux ancien obèse provincial surnommé « M. Normal » au lieu de Sarko le sournois ?
Oui, en 2012, la France allait mener la résistance contre les Allemands, encore une fois, qui s’engraissaient de l’impérialisme contre leurs petits partenaires de la zone euro – encore une fois. Bien sûr, la France s’engraissait aussi, mais si Hollande pouvait lâcher une tonne de lest avant la campagne, il aurait pu tout aussi bien empêcher les banques françaises d’engloutir la Grèce dans des proportions presque aussi grandes que celles de l’Allemagne.
M. Normal a peut être été injustement vilipendé dans un monde post-Brexit et post-Trump, mais peut-être que la France était en avance sur son temps avec Hollande en 2012. Si c’est le cas, il est maintenant clair que M. (et Mme) Normal peuvent être manipulés très facilement – ce n’est pas Castro, ni lui (ni elle).
Et pourtant, évidemment, l’ambiance ne pourrait pas être plus différente aujourd’hui. Maintenant, c’est « l’extrême-droite ou la faillite » en France, en Europe et déjà aux États-Unis. La France se tournera probablement aussi vers le « fascisme nationaliste » via Marine Le Pen en mai, mais ce n’est pas aussi grave qu’aux États-Unis.
Ce n’est pas faire crédit à la France – bien que Le Pen soit, du moins économiquement, à gauche, à plusieurs égards (pour l’instant) – de constater que les maux culturels de la France sont si profonds que tous les partis – à l’exception de cette demi-douzaine de partis d’extrême-gauche terriblement désunis qui ne peuvent même pas travailler ensemble pour pousser leur candidat le plus populaire, Jean-Luc Mélenchon – partagent maintenant les perspectives xénophobes et islamophobes de Le Pen.
On se souviendra également de Hollande comme ayant présidé cette vague de xénophobie en persécutant les Roms bien plus que Sarkozy et en ignorant la crise des réfugiés qu’il a largement contribué à créer. Deux attentats terroristes et une attaque psychotique à Nice ont donné à Hollande une chance de mettre fin à l’islamophobie en France, mais il les a exploités pour obtenir ce qu’il voulait. Encore une fois, il n’est pas un Castro-unificateur-des-races.
Et ce qu’Hollande voulait vraiment, ce qu’il désirait profondément, follement, ardemment, c’était d’imposer à toute force, de manière anti-démocratique, un recul droitier au code du travail français, et il l’a finalement obtenu au printemps dernier après des mois de manifestations anti-gouvernementales. Le code du travail français était, après tout, un code du travail en partie pro-ouvrier qui depuis la Seconde Guerre mondiale a constitué une anomalie et un embarras majeur pour la propagande capitaliste aux États-Unis et au Royaume-Uni. Bien sûr, les taux de pauvreté en France sont bien inférieurs à ceux des États-Unis et du Royaume-Uni, et même de leur cousine continentale adulée, l’Allemagne.
Il a fallu plus de 2 000 arrestations, quelques yeux crevés et des quantités incalculables de brutalités policières – pratiquement ignorées par les médias occidentaux dans une démonstration majeure de double standard –, mais Hollande l’a fait – et je n’inclus pas ici les assignations à domicile d’écologistes et de musulmans, ni les peines d’emprisonnement d’hystérie de guerre.
Et après tout son travail inlassable, Hollande assume maintenant la responsabilité de la chute du Parti socialiste.
En se retirant ostensiblement, il espère sauver l’image des socialistes et leurs chances de gagner en mai. Il n’aurait vraiment pas dû : le Parti est si entaché, si pro-système et manque si manifestement d’une quelconque intégrité de gauche qu’il n’a rien ni personne pour avancer. Qui pourrait avoir un esprit assez manipulable pour vouloir les socialistes français, pour encore cinq ans, après une trahison si odieuse ?
Le Premier ministre Manuel Valls, l’un des derniers politiciens acharnés de la « troisième voie » en Occident, semble bien placé pour représenter les socialistes, mais il n’a aucune chance de gagner. Valls est un « socialiste » comme Hillary était une « démocrate », mais il n’est peut-être pas assez stupide pour se sacrifier pour le Parti comme son chef vient de le faire.
Et pourtant, malgré tout le vitriol anti-Hollande, le candidat libéral du Parti conservateur, François Fillon, serait appelé à l’emporter avec 66% des voix selon les sondages, malgré une plateforme d’ultra-austérité. On le dira encore et encore, mais c’est une nouvelle preuve que l’électorat en France n’est pas plus sophistiqué, moderne ou politiquement intelligent que n’importe où ailleurs.
« Un jour ils vont regarder en arrière et me remercier ». Voilà sûrement ce que se dit Hollande. Gorbatchev pense probablement la même chose, lui aussi. Mais tous deux se trompent totalement, tous deux sont écartés du pouvoir et tous deux sont presque universellement méprisés aujourd’hui.
Ramin Mazaheri est le correspondant principal de Press TV à Paris et vit en France depuis 2009. Il a été journaliste quotidien aux États-Unis et a exercé en Égypte, en Tunisie, en Corée du Sud et ailleurs. Ses articles ont été publiés dans divers journaux, revues et sites Web, et il apparaît à la radio et à la télévision.
Traduit par Sayed, édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone